Découvrir la musique aujourd’hui

Trois manières de découvrir une œuvre d’art.
Une première est directe. On est chez des amis et l’on est bouleversé par une musique que l’on entend pour la première fois. Mais la découverte dépend bien sûr des lieux et des gens que l’on fréquente car il est très difficile de découvrir une culture qui ne fait pas partie de son propre milieu. J’ai découvert la chanson par ma mère, le jazz par mon père et la pop anglo-saxonne par mes grand frères mais dans ma famille la musique contemporaine n’a jamais coulé de source. Un ami me fit apprécier plus profondément la musique classique (Bach, Mozart, Beethoven, Debussy... ) et m’initiât à la musique contemporaine (je fus jusqu’à assister à un concert de Ligeti à Paris, le compositeur étant dans la salle).
Une deuxième façon est indirecte. C’est comme une chaîne qui relie les goûts différents des personnes par leurs goûts communs. On entend parler d’une œuvre ou d’un artiste que l’on ne connaît pas dans un article ou un entretien avec un artiste que l’on aime. C’est une manière d’échapper peu à peu au milieu dans lequel on vit.
Une troisième méthode est un peu perverse. C’est celle d’aller vers ce contre quoi on a des préjugés. On fait des découvertes étonnantes mais il faut s’armer de patience.

Le pape du contemporain

Attiré par le désir de découvrir de nouveau concepts en musique, je me suis donc lancé à la recherche d’artistes susceptibles de me plaire. Seulement voilà: comment faire? À qui se fier? Il faut bien un point de départ même si chacun défend sa chapelle. Alors pourquoi pas le pape? C’est en tombant sur un entretient avec Pierre Boulez que j’ai commencé à entrevoir l’existence de tout un monde jusqu’alors pour moi inconnu. C’était un tout petit détail dans l’article qui m’avait marqué; un genre de phrase qu’on ne peut pas s’enlever de la tête parce qu’elle est pour soi une révélation. Je savais bien que Pierre Boulez déchaînait des passions contradictoires et qu’on lui reprochait notamment son sectarisme, mais rien ne m’empêchait de garder mon jugement. J’ai d’ailleurs toujours apprécié la polémique intellectuelle et la mauvaise fois qui en découle (je me suis éduqué à l’école de Gainsbourg) parce qu’elle me parait plus féconde que la formule scolaire (thèse / antithèse / synthèse) à la Serge July, qui mène finalement à langue de bois. Je me suis donc fait offrir le livre Éclats 2002 (Mémoire du Livre, réédition 2002) qui est une somme d’entretiens de Pierre Boulez avec Claude Samuel, musicologue et journaliste, classés par thèmes. Il contient des références à de nombreux compositeurs classiques et contemporain et est une excellente introduction à la musique contemporaine ainsi qu’à la musique classique du XIXe siècle. Il défend bien sûr la vision personnelle d’un intellectuel de notre époque, mais je préfère une véritable perspective qu’une généralisation floue. Contairement au livre de Pierre Boulez Penser la musique aujourd’hui qui est destiné aux musiciens ayant une solide connaissance des concepts musicaux actuels, Éclats 2002 est accessible et didactique. L’illustration de la recherche de nouvelles formes avec l’exemple de Paul Klee en peinture est magistrale.

Les élus et les marginaux
Boulez partage le monde en deux : d’un coté les élus et de l’autre les marginaux. Il y en a que ça ne fait pas rire mais je pense qu’il ne faut pas prendre autant au sérieux cette intransigeance. Il ne faut pas y voir le reflet d’une attitude politique ou bien sociale mais une forme de rhétorique, faite pour mieux avancer. Quand on consulte sa discographie en tant que chef d’orchestre on voit qu’il n’est pas aussi sévère.
Les heureux élus sont, entre autres, Wagner, Mahler, Debussy, Messiaen, Schoenberg, Berg, Webern, Stravinsky et Ligeti.
Les marginaux sont les répétitifs et les minimalistes de l’école américaine (Terry Riley, John Adams, Philip Glass, Steve Reich) dont on nous parle toujours dans la presse rock. C’est peut être une bonne musique d’ambiance, certainement facile à découvrir, mais quoi de neuf? Est-ce vraiment plus intéressant que Jean-Michel Jarre? Je ne crois pas. Je trouve cela absurde et prétentieux de se donner des limites an tant qu’artistes. Les minimalistes sont des gens qui refusent d’utiliser tout leur capital culturel et intellectuel au service de leur œuvre. C’est Beethoven voulant être Rondo Veneziano! Quel snobisme! Quelle ironie! Mais bon, je trouve ça quand même plus intéressant que les néo classiques de l’est (Arvo Pärt et Henryk Gorecki - qui dans sa 3e symphonie dilue une idée qui aurait fait un bon single).

Ma conclusion
Pierre Boulez a beau être égoïste et véhément dans ses paroles, je le trouve généreux dans la mesure ou il a l’ambition de nous faire découvrir de nouveaux concepts musicaux. Je pense qu’il y réussit au moins en tant qu’intellectuel. Quant à sa musique, il faudra sans doute attendre quelque temps avant de pouvoir la juger. Je trouve idiot de prétendre enterrer rapidement une œuvre qui représente une telle somme de travail sous prétexte qu’elle est difficile d’accès. Une musique qui prétend se construire sur des bases totalement nouvelles ne peut pas être comprise instantanément. Et c’est justement cela qui m’attire vers une œuvre : savoir qu’elle est inépuisable et que toujours je pourrais la découvrir sous une nouvelle perspective.

Evaristo, février 2005 (voir ma sélection disques)
2 comments

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

j'aime beaucoup la façon dont tu décris les "Trois manières de découvrir une œuvre d’art", c'est en tout cas exactement la façon dont je découvre (moi et bien d'autres) certaines oeuvres d'art.

En ce qui concerne les répétitifs et les minimalistes américains (Terry Riley, Glass, Nyman...), j'ai moi aussi du mal mais je ne sais pas si John Adams rentre vraiment dans cette catégorie, je ne suis pas fan mais sa musique (actuelle) me parait un peu plus sophistiquée tant sur le plan harmonique que rythmique. Je ne partage pas non plus ton léger dédain de Gorecki, mais c'est vrai que sa "3ème symphonie" a été un de mes grands chocs de l'adolescence, je suis donc forcement un peu moins objectif. ;)

En fait, cette "3ème symphonie" est certes simple et joue uniquement sur quelques accords hypnotiques mais sa tristesse, sa profondeur et la poignante mélancolie qu'elle dégage n'a rien à voir à mon sens avec le coté tout de même très toc des Glass et Nyman...

Quant à Boulez, sa musique est évidemment à l'opposé : extrêmement complexe et très architecturale, je ne suis pas forcement toujours aficionado non plus mais j'avoue bien aimer les "Improvisations III" de son "Pli selon pli" et surtout le superbe "Rituel" que j'ai découvert d'ailleurs en même temps que Gorecki ;)

4.1.06  
Blogger Evaristo said...

Y´a un truc qui est pas mal, c´est radioblogclub.com. Ça permet de créer une série de chansons, comme une radio personnelle. Mais je ne l´ai pas encore utilisée.

25.7.06  

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